Mlle Peggy,Infirmière

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94, France
Mes patients m'appellent souvent Mlle Peggy ,c'est une façon pour eux d'établir une proximité sans pour autant être trop familiers,une sorte de formule "intermédiaire" entre le tutoiement et le vouvoiement,qui leur convient et que je trouve charmante.Vous l'aurez donc compris ,mon quotidien est de soigner les corps et les âmes,"les petites histoires de Mlle Peggy" sont des brèves de vies,qui vous feront rire,parfois pleurer,souvent réfléchir,enfin qui vous laisseront rarement indifférents,je pense. Ah j'ai oublié de vous dire mais vous avez du le deviner:je suis infirmière,et je pratique mon art à domicile,en petite banlieue parisienne.Je tiens à préciser que par souçi du respect du secret médical auquel je suis soumise,les lieux,les identités des patients et leurs familles,les pathologies sont modifiés,et les faits sont romancés. Toute ressemblance avec des personnes ayant réellement existé est purement fortuite. Bonne lecture!!!

lundi 4 août 2014

Remerciements.

Madame la ministre des Affaires sociales et de la Santé,
Je n’ai pas pu me retenir de vous écrire ces quelques mots de gratitude après votre intervention concernant les deux agressions de consœurs dans la même semaine.
Comme vous l’avez souligné avec gravité et empathie, l’une d’entre elle a été abattue par son patient alors qu’elle venait lui administrer son traitement du matin et la seconde  a été sauvagement battue  par plusieurs individus  alors qu’elle sortait de chez un  malade.
Les agresseurs sont toujours en fuite mais activement recherchés par les forces de l’Ordre qui mettent tous les moyens disponibles en œuvre pour les retrouver.
Ces faits ne sont pas rares, et notre profession a profondément ressenti  la considération que vous lui portez lorsque vous avez rappelé que toute violence à l’égard d’un personnel soignant était un délit et serait sévèrement puni.
L’ensemble de la profession a d’ailleurs été touchée lorsque vous avez évoqué la création d’un groupe de travail visant à établir un texte de loi  spécifique aux agressions des soignants libéraux étant donné l’augmentation inquiétante ces dernières années des incivilités et agressions verbales ou physiques à leur égard.
Grace à votre intervention, les médias ont largement relayé l’information, et beaucoup de nos concitoyens ont pu réaliser la difficulté de notre exercice au quotidien.
Ils ont pu comprendre que nous intervenons chez nos malades 24h sur 24, car nous devons assurer la continuité des soins, et ceci quel que soit l’heure et  l’endroit.
Notre profession est exercée à plus de 90% par des femmes donc nous sommes très exposées aux violences verbales ou physiques.
Rappeler aussi fermement que vous l’avez fait, qu’il n’y aura pas de « circonstances atténuantes » en cas de dérapages, nous a convaincu que vous étiez, Madame la ministre, notre représentante.
Merci pour l’hommage rendu au travers du parcours de ces  deux femmes, à notre profession.
La peine des familles est grande,
Les soignants sont touchés,
Mais rassurés de voir qu’ils ne sont pas seuls.
Merci à vous Madame la ministre des affaires sociales et de la Santé pour votre indéfectible soutien.


dimanche 3 août 2014

Les Sous-bois


Ce matin, le médecin d’un service d’endocrinologie parisien me contacte pour savoir si je peux prendre en charge une patiente de 75 ans diabétique, insulino –dépendante, elle a été amputée du pied gauche.

Cette prise en charge est lourde : la dame ne parle pas le Français, il faut surveiller et équilibrer son diabète par le biais d’injections d’insuline, lui enseigner les règles alimentaires et diététiques  de base, faire le pansement d’amputation quotidiennement (ce qui n’est pas une mince affaire compte tenu du risque septique) et de surcroit cette famille n’habite pas le secteur dont je dépends.

Le médecin insiste, je finis par accepter……

La patiente doit sortir de l’hôpital dans 72 heures ce qui me laisse le temps de m’organiser.

Me voilà donc trois jours plus tard  à tourner désespérément en rond au fond d’une impasse donnant sur un petit bois.

J’ai beau relire l’adresse et tourner dans cette impasse je ne trouve pas le numéro correspondant à la maison de ma patiente.

Et ce GPS qui insiste lourdement en répétant inlassablement :

 « Vous avez atteint votre destination, votre destination se trouve sur la gauche !!! »

Pourtant je ne vois rien d’autre que quatre maisons qui ne correspondent pas à l’adresse et à gauche, un chemin de terre menant à une sorte de terrain vague.

Je me gare.

J’ai déjà appelé plusieurs fois Mme P. mais je ne comprends pas ses explications, la conversation est hachée et la barrière de la langue est nette au téléphone…

Il fait froid et je commence clairement à désespérer de la trouver, le temps passe, le retard s’accumule quand j’entends au loin, du côté du chemin boueux, des éclats de voix……

Je me retourne lentement et je commence à comprendre……

« Vous avez atteint votre destination, votre destination se trouve sur la gauche…… »

J’avance prudemment dans la direction des voix, le sentier mène rapidement dans un sous-bois obscur, le sol est jonché de détritus divers et variés: bouteilles d’alcool vides, une machine à laver éventrée, des vieilles chaussures, je n’ose pas comprendre et pourtant la suite est toute proche…….

Je progresse lentement, la végétation se densifie mais la terre est foulée ce qui m’indique que les passages sont quotidiens. Au bout de 50 mètres, l’objectif est atteint ,je me retrouve devant un « bidonville moderne » fait de tôles ondulées, de cageots et de toiles plastiques, en plein hiver dans les bois, à 10 kilomètres de Paris !!!!

Devant la découverte cet abri de fortune, un chien type berger Allemand monte la garde bien décidé à ne laisser entrer personne dans son périmètre de vie. Heureusement pour tout le monde la bête est attachée à un arbre, une chaine d’environ un mètre cinquante lui laisse une liberté toue relative.

Je déglutis avec difficulté et je me décide à appeler à tue-tête Me P. en espérant de toutes mes forces que je me trompe d’adresse….

Le chien est déchaîné et je commence à me demander si la chaîne qui le retient va résister aux coups  de colliers à répétition que lui assène la bête.

Au bout de quelques secondes, un vieil homme sort de la cabane je le distingue mal mais il semble âgé. Il me fait signe d’avancer et réprimande le berger sévèrement.

Peu rassurée, j’avance malgré tout et une fois arrivée à sa hauteur, le vieil homme me fait signe de rentrer chez lui.

Une fois à l’intérieur, je me retrouve dans  un endroit insalubre mais organisé : la cuisine, un salon, deux chambres à coucher, sous tôles ondulées….

Le « plafond » est assez bas, un mètre 60 environ ce qui m’oblige à me déplacer recroquevillée, je traverse la première pièce et j’arrive dans un coin qui fait office de chambre. 

Une femme âgée est allongée sur un matelas posé à même le sol.

Je me présente et elle m’accueille souriante.

Elle ne parle pas du tout le français mais semble le comprendre un peu.

Je commence par effectuer le pansement, Mme P. a été amputée du pied gauche, le soin est donc délicat et douloureux.

Je comprends lors de la conversation que Mme P. et son mari sont arrivés en France dans les années 60 et ont effectué des métiers sans qualifications  durant des dizaines d’années. 

Quand  l’heure de la retraite a sonné, leur pension n’a pas été suffisante pour rester dans le logement familial. Ils se sont alors installés sur  ce terrain appartenant à un membre de leur famille moyennant  un petit loyer.

 Au fil du temps, ils ont construit ce logement de fortune, et y vivent leurs vieux jours.

Les enfants de Mr et Mme P. viennent leur rendre visite tous les week-ends, ils font les courses de leurs parents, gèrent les tâches administratives mais ne cherchent pas d’autres solutions de logement.

La prise en charge de Mme P. a commencé depuis plusieurs semaines maintenant, je commence même à maîtriser quelques formules simples de la langue de la famille.

Les soins évoluent plutôt bien et le diabète de Mme P. est équilibré.

L’hiver est cependant sévère, et le couple a froid.

Chaque matin, je redoute le pire car ils chauffent leur logement à l’aide d’un poêle à charbon qui émet pas mal de fumées, qui me paraissent nuisibles…

Mr et Mme P. ont 75 et 80 ans, ils ne supporteront pas ces conditions de vie encore très longtemps.

Un soir, je reçois un coup de téléphone du frère de Mme P. qui souhaite avoir des nouvelles de sa sœur  qu’il compte venir voir prochainement et il semble inquiet à son sujet. 

Je lui explique la situation médicale et au cours de la conversation, je lui fais part de mes inquiétudes par rapport à la situation sociale de sa sœur. Il semble surpris et ne pas comprendre ce que j’essaye de lui expliquer.

Je décide donc d’être claire et je lui décris les conditions de vie de sa sœur.

C’est un véritable choc pour lui.

Il décide de prendre le premier vol pour Paris et atterrit 48 heures plus tard à Orly.

Mme P. est heureuse à l’idée de revoir son frère mais semble gênée de le recevoir là où elle vit.

Mr P. est silencieux, et soucieux.

Je finis par comprendre qu’il y a eu une rupture avec sa famille lorsqu’elle a quitté son pays avec son mari pour « réussir ailleurs ».

Son frère et elle ont toujours gardé le contact mais la distance et la pudeur ont fait qu’elle n’a jamais osé lui parler de ses difficultés et de l’échec de son rêve de promotion sociale.

Les retrouvailles sont touchantes, j’y assiste par la force des choses mais j’essaye d’être la plus discrète possible.

Les soins terminés, je m’éclipse.

Le lendemain, tout est calme dans la maison de fortune.

La nuit a été éprouvante pour la famille.

Les enfants sont venus et de longues discussions se sont tenues avec le frère de Mme P.

Une décision a été prise dans le souci du bien-être de chacun.

Mme P. et son mari vont retourner chez eux, 45 ans après avoir quitté leur pays.

Le frère de Mme P. n’a pas émigré et a réussi chez lui.

Il possède un petit appartement secondaire tout confort en centre-ville, qu’il habite occasionnellement, lors de ses déplacements professionnels.

Il a donc proposé à Me P. et son mari de les héberger gracieusement afin qu’ils se ressourcent et qu’ils profitent de leurs vieux jours sereinement.

Ce jeune frère de 60 ans, n’imaginait pas les conditions dans lesquelles sa sœur aînée vivait à des milliers de kilomètres de lui.

La distance, la pudeur, la honte, les non-dits ont empêché  Mme P. de se confier à sa famille.
Le hasard m’a mis sur leur route.

Ils vivent dorénavant simplement mais dignement une retraite bien méritée auprès des leurs.