Ce matin il fait froid, très froid.
L’épais brouillard des matins d’hiver ne se lève pas, le
ciel est bas et gris.
Je déteste le mois de
Novembre qui célèbre les morts et les armistices et enterre définitivement les
beaux jours, les rires et les fleurs.
Novembre éteint la lumière et ferme les portes des maisons,
des terrasses et des jardins.
Novembre met fin aux flâneries tardives.
Le bruit des pas est chaque jour un peu plus pressé, les
corps se cachent sous de gros manteaux souvent informes dont la fonction première
est juste de réchauffer les os. Il semble loin le temps des jupes légères et fleuries, des
rires d’enfants qui s’envolent dans les airs, des discussions tardives sur les
places ombragées.
Novembre isole chacun d’entre nous.
Novembre est tristesse.
Je suis frigorifiée et comme chaque année je sais que je
vais avoir froid jusqu’en Avril et que rien ne pourra me réchauffer jusque-là.E tre soignant un exercice quotidien difficile mais l’hiver
la maladie prend une dimension toute particulière. Nous n’avons plus la force
que donne la lumière du jour pour nous ressourcer. Je me lève, il fait nuit, je quitte la maison, il fait nuit,
je rentre il fait nuit. Les quelques heures de jours sont sombres au sens propre
comme au sens figuré. La grisaille est permanente. Comment rassurer, écouter, soutenir quand l’hiver est si
rude ?
En novembre, les patients meurent, souvent seuls.
Et pourtant nous sommes présents, le jour , la nuit si
besoin. Nous affrontons la neige, la pluie, les vents. Je déteste l’hiver. Peut-être parce que la rigueur de la saison nous plonge au cœur
de la vraie vie.
Novembre nous met à nu, nous confronte à l’isolement social,
la misère, la douleur, la fin de vie, la violence, sans fioritures.
Adieu aux paillettes de l’été, à l’insouciance feinte, on ne
trompe pas l’hiver. Je me gare. Il pleut.
Premier patient.
Je pousse la porte de cet immeuble devant lequel je passe
tous les jours. Je rencontre pour la première fois ce patient adressé par l’hôpital. Je lis les instructions notées sur un pot-it :
« rez-de-chaussée, 1ere porte à droite 1er
ss »
Première porte à droite ? Je ne comprends pas, il est
noté sur la seule porte que je vois « accès caves ». Ce doit être une erreur pourtant il n'y a pas de porte à gauche. D’après mes informations le patient a 52 ans, il entre en
phase palliative d’un cancer du poumon. Il souhaite mourir chez lui et j’ai accepté de le prendre en charge. Je relis mes notes : « rez de chaussé, 1ere porte à droite 1er ss ». Je sors à nouveau sur le trottoir pour vérifier l’adresse.
C’est bien là.
Je reviens dans le hall et incrédule je décide de
suivre les indications.Un escalier sombre et étroit me conduit au sous-sol.J’ai griffonné « porte n°4 » sur mon papier. Je ne peux pas y croire. J’avance doucement, je passe la porte n°1, mon cœur s’accélère,
la porte n°2 je tremble légèrement, n°3, et j’aperçois de la lumière qui filtre
au travers de la porte n°4…..Je frappe.
« Entrez Mlle Peggy entrez donc je vous attends ! »
Je pousse la porte en affichant un sourire radieux et je me
retrouve face à un homme visiblement très faible.La cave a été aménagée en chambre d’hôpital.
« Alors Mlle Peggy, vous avez trouvé facilement ? »
Je n’aime définitivement pas l’hiver.
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