
Il est 6h45 lorsque je ressens le vent glacial sur mon
visage.
Je relève mon col, ajuste mon écharpe, j’inspire une bouffée
d’air frais et je me lance dans les rues quasi désertes.
Je consulte les patients les uns après les autres et
progressivement la ville se réveille.
Vers 10h00, je me rends chez un patient qui est sorti de l’hôpital
hier soir après y être resté une dizaine de jours.
Nous nous connaissons depuis plusieurs années, il me fait
confiance et s’adresse souvent à moi avant de consulter le medecin.
Mr P. est un homme de 80 ans aux convictions affirmées, il
fait souvent preuve de maladresses verbales voire de mauvaise éducation.
Je le soigne pourtant dès qu’il est nécessaire de le faire
et il refuse de faire appel à un autre cabinet.
Pourtant je ne partage pas ses opinions politiques.
Je n’aime pas ses manières.
Je ne supporte pas l’attitude machiste dont il fait preuve à
l’égard de sa femme.
J’exècre la vulgarité de ses propos.
Je n’apprécie pas sa conversation.
Pourtant, je le soigne comme tous les autres, ni mieux, ni
moins bien.
Juste de façon
professionnelle, tout simplement parce que chacun doit pouvoir bénéficier des
meilleurs soins possibles.
On évoque souvent la difficulté d’établir la bonne distance
soignant-soigné lorsque l’on devient trop empathique mais rarement lorsque l’on
ressent de l’antipathie, et pourtant c’est tout aussi difficile.
Ce matin, il est en pleine forme !
« Ah Peggy, je suis content de vous voir ! Ça va
bien chez vous ? Les enfants ? »
-Bonjour Monsieur, tout le monde va bien, je vous remercie.
Votre séjour s’est il bien passé ?
« Mouais tout le monde était super ! Les filles
étaient chouettes, par contre elles ont un boulot dingue les pauvres !
Elles savent plus où donner la tête, il y en a une qui s’est faite engueuler
parce qu’elle a fait une connerie, elle pleurait dans ma chambre pendant le
soin ! Et puis on attend des plombes pour un examen, personne ne sait rien
de rien. Bref le gros bordel… »
-et sinon le medecin qui vous a opéré ? Vous êtes
satisfait ?
« Ouais, je l’ai vu 5 minutes avant ,5 minutes après,
il m’a pris 200 balles de dépassement d’honoraires. Franchement c’est un bon
taf ! Et puis je ne vous parle pas de la bouffe, j’ai pris une chambre
individuelle qui m’a couté 100 balles par jour et j’avais même pas une
bouteille d’eau minérale ! »
-en même temps l’hôpital n’a jamais été réputé pour son
hôtellerie ! dis-je sarcastique.
« Non c’est vrai ! Heureusement, il y avait une
petite négresse qui était bien gentille ! C’était l’infirmière de nuit, je
lui donnais 2 balles et elle allait me chercher des bouteilles d’eau au
distributeur. »
En entendant ses mots, je tressaille. Je sens un battement
dans ma tempe droite taper de plus en plus rapidement.
Je ne peux pas laisser passer ça.
Je suis soignante certes mais je ne peux pas tout tolérer
tendre la joue gauche et me taire.
Je dirais même que je dois réagir.
-Pardon ?
« oui une petite noiraude, très gentille, d’ailleurs le
service en était plein ! Elle s’est occupé de moi pendant une semaine, et
elle même venue me dire au revoir quand je suis parti. Par contre, j’ai pas
retenu son prénom ! »
-Vous pouvez me rappeler ce qu’elle faisait ?
« c’était l’infirmière ! »
-et que faisait elle ?
« Ben vous savez bien, elle me soignait ! »
-et vous a-t-elle manqué de respect ?
« Oh ben non alors ! »
-alors pourquoi le faites-vous ?
« Comment ça ? »
-pourquoi manquez-vous de respect à tous ces gens qui vous
ont soigné et particulièrement à celle qui vous a le plus aidé ? la petite
« négresse » ?
« Ah ça mais c’est un mot affectueux ! Et puis les
autres ils font ce qu’ils peuvent ! »
-non Monsieur, ce n’est pas un mot affectueux, c’est un
terme raciste utilisé par les esclavagistes ! Tous ces gens qui vont ont
soigné font ce qu’ils peuvent avec les maigres moyens qu’ils ont. Et ils vous
ont malgré tout remis sur pieds.
Surpris, il est reste silencieux, il semble réfléchir.
-je vous souhaite une bonne après-midi Monsieur, à demain.
« A demain Peggy, et merci d’être venue. »
La situation que les soignants vivent actuellement est
insupportable.
Le système se fissure de toutes parts.
La qualité des soins se dégradent.
Les patients insatisfaits ne respectent plus les soignants.
Les élections approchent, les promesses affluent…..
Nous sommes 600.000
Il est temps de réagir.
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