Février 2000
Ce matin, Angèle est morte.
Quarante ans, un mari, trois enfants six, dix et douze ans.
Aout 1999
Première rencontre fin Aout, retour de vacances écourtées
par une fracture du fémur à priori accidentelle.
Partie avec des amies passer quelques jours entre filles
sans enfants ni mari, Angèle se réceptionne mal lors d'un saut en parachute et
se fracture le col du fémur. Son séjour
se prolonge aux urgences de l'hôpital de villégiature, car les radiologues
veulent investiguer davantage.
Après les radios, les scanners, et enfin l’IRM, le diagnostic tombe comme un couperet: Angèle
a un cancer du poumon avancé puisque les organes majeurs sont envahis par les
métastases: cerveau, foie, reins, moelle..................une catastrophe!!!
Je prends en charge une bonne vivante qui ne refuse jamais
un bon verre de vin rouge mais qui a arrêté de fumer il y a plus de dix ans
avant d’avoir ses enfants.
Elle est mariée à un homme d’affaires, souvent absent mais
très amoureux de sa femme et à l’écoute de ses enfants.
Leur grande maison devient
chaque weekend le lieu où se retrouvent famille et amis.
Septembre 1999
Cette année, le printemps se prolonge et la rentrée se fait
sous un soleil radieux.
Malgré le sinistre tableau, le moral semble bon et l’humeur
est joyeuse. Cette femme est une guerrière, elle ne s'accorde pas la
possibilité d’échouer, ses enfants sont jeunes et ont besoin d'elles, elle doit
survivre.
Clouée au lit depuis maintenant un mois, elle continue à
travailler par le biais du téléphone et d’internet, reçoit ses rendez-vous dans
sa chambre, et gère les devoirs des enfants d’une main de maitre.
La chimiothérapie a commencé, les kilos superflus fondent à
vue d’œil, tout le monde fait semblant de ne pas le voir, y compris moi.
Dès le premier jour, elle me dira « je suis ravie de
mener ce bout de chemin avec toi », je suis également sous le charme de ce
personnage……
Octobre 1999
Moins dix kilos sur
la balance, Angèle dit « avoir quasiment atteint ses objectifs de perte de
poids », ses amies lui affirment qu’elle a retrouvé la taille de ses vingt
ans……
Il y a deux jours, sa meilleure amie a rasé ses quelques
cheveux éparses, laissant apparaitre un crane imberbe, qui lui va plutôt bien.
Cette étape a été difficile mais reste le choix de la
perruque prévu aujourd’hui, instant toujours grave car le patient réalise que
l’image qu’il renvoie est celle de la
maladie.
Un rendez-vous avec un spécialiste de la perruque est donc
pris cet après-midi.
Angèle tient absolument à ma présence, je vais tenter de dédramatiser ce moment par
le biais de « moqueries de filles », de celles que l'on peut faire
lors de ces journées shopping ou l'on essaye des heures durant des tenues
improbables « juste pour voir si ça va!!! ».
Sa meilleure amie, fidèle de chaque instant, est présente et
va jouer le même jeu que moi.
Et ça marche ! Les fous rires sont de la partie et nous
finissons par trouver La Perruque!!!
Pourtant je la préfère sans, le postiche ne convient pas à
sa personnalité, comme souvent chez les patients à ce stade de la maladie.
Elle ne la mettra jamais, elle va faire face sans fards,
sans détours, sans mensonges.
Novembre 1999
Clash entre Angèle et sa fille ainée.
Le voyage prévu depuis des mois au Canada a été annulé étant
donné l’état de santé d’Angèle.
L’adolescente rêvait de ce voyage depuis longtemps et a du
mal à comprendre que ses parents reportent …….à plus tard, elle trouve cela
« injuste ».
Angèle est déchirée.
Décembre 1999
Les préparatifs de Noel se précisent, le mari d’Angèle
voyage moins, essaye d’être plus présent conscient de la gravité de la
situation.
La famille fait ce qu’elle peut pour que les enfants mènent
une vie « normale » avec leur mère en phase de soins palliatifs dans
leur maison.
Parce que nous y sommes, quatre mois après la découverte de
la maladie, le palliatif a pris la place du curatif.
Le temps de l’espérance est définitivement derrière nous, en
ces heures de fêtes, l’ambiance est à la gravité, malgré une volonté manifeste
de ne pas sombrer dans le pathos.
Pourtant moins 30 kilos sur la balance, le contact est de
plus en plus bref, la morphine entraine une somnolence quasi permanente, et la
maladie est particulièrement virulente.
Angèle ne marche
plus, ne s’alimente plus seule, et, elle est incontinente depuis peu.
Les enfants décorent le sapin en espérant à haute voix que
« maman participe un peu plus l’année prochaine !!!! ».
Janvier 2000
Angèle m’a accordé sa confiance tout entière, avoué ses
espoirs, ses angoisses et ses peurs, ses échecs, ses joies et ses peines tout
ce temps durant.
Le soin nous a rapprochées, le toucher nous a liées, la
douleur nous a unies, elle et moi mais aussi sa famille et moi.
J'ai espéré ardemment que l'issue soit différente, j’ai dû
accepter avant l'échéance, le terrible sort
qui l'attendait, elle et sa famille.
Accepter l'injustice des ravages de la maladie permet
d'ajuster la prise en charge du patient à la réalité souvent cruelle.
L'objectif du soin n'étant plus curatif mais palliatif, nous
passons ensemble les étapes qui conduisent au décès inéluctable.
Le chemin est difficile car il n'existe pas de place pour la
médiocrité, chaque moment est unique et précieux tant pour le patient que pour
sa famille et, évidemment pour le soignant.
J'ai aimé cette femme au caractère bien trempée qui n'a
jamais failli, ses promesses étaient celles d'une amitié débutante qui
perdurerait après la guérison, que nous voulions tous certaine......
Je savais, je connaissais l'issue, et pourtant j'y ai cru,
au début mais la réalité m’a vite rattrapé.
Nous avons franchi la limite de la relation soignant-soigné,
sans le vouloir car nous ne nous sommes pas protégées l’une et l’autre, mais
nous nous sommes enrichies l’une de l’ autre .
Quand enfin, elle a voulu connaitre la vérité, je me suis
assise et je ne lui ai rien caché, je le lui devais, je ne pouvais pas trahir
la confiance qu'elle m'accordait depuis le début.
Je lui ai dit les mots que j'aurais aimé entendre, à sa
place, la projection était tellement forte!
Elle a pleuré un temps infini, dans mes bras, elle m’a avoué
ses regrets non pas ceux du passé mais ceux du futur : elle ne verrait pas son
fils devenir un jeune homme, sa fille au caractère si semblable au sien
s’épanouir, sa toute petite tout simplement grandir et son mari continuerait le
chemin, sans elle.
Je n'oublierais jamais ce soir de décembre ou, après cette
conversation, j'ai fermé la porte de sa chambre, salué sa famille rassurée de
la voir aller un peu mieux, chahuté avec les enfants puis j'ai fermé la porte
de cette maison ou un drame se jouait à quelques jours de Noël, et j'ai pleuré,
longtemps.
Février 2000
On est au bout du chemin.
Angèle me remercie une dernière fois pour ma présence et mon
écoute, ses mots et son regard resteront gravés dans ma mémoire pour
l'éternité.
Le SAMU ferme la porte du camion et l’emmène rapidement.
Sa famille est exceptionnelle et pourtant ordinaire:
présente, patiente, un soutien de chaque instant, chaque minute.
Les grands parents irréprochables croulent sous le poids des
responsabilités qu'ils n'auraient jamais imaginé: prendre en charge pendant les
absences de leur père ces enfants si jeunes, ils vont devoir essayer d’assurer
« l’intérim maternel ».Comment répondre à leurs angoisses, comment
les soulager, comment expliquer l’inexplicable ? La grand-mère me dira
quelques jours avant le décès de sa belle-fille :
« elle ne peut pas mourir......les
enfants.......................nous sommes trop vieux
…....................... ».
Et qu’allait devenir leur fils, si brillant, parfaitement
heureux jusqu’à cet été inoubliable, et depuis si malheureux, en silence,
inconsolable en silence, résigné, mais toujours souriant.
Mari, enfants, famille, amis doivent continuer et comme dira
son petit garçon le jour de son décès «sans ma Maman, la vie ne sera plus
jamais comme avant...... »
Le choc est rude, je suis plus que touchée, je suis effondrée.
Un chagrin très particulier.
Une amie, une mère, une épouse, une collègue, une voisine, une
connaissance a définitivement disparu.
La matinée sera difficile.
Pour tout le monde.
Février 2002
Deux ans déjà qu'Angèle nous a
quitté, je pense toujours à elle régulièrement, je ne suis jamais allée sur sa
tombe.
En revanche, elle a tenu parole: elle veille sur moi..........
Je prends toujours soin de mes patients.
Ses enfants grandissent et s’épanouissent, son mari tente de
continuer sa vie.
Ils sont partis, au Canada, tous les trois, en Janvier
dernier.
Peggy, essaye de mettre moins de pointillés en nombre je veux dire. Je reste conquis par ta sémantique. Vraiment . Jean-Marie.
RépondreSupprimerCe texte est réellement sublime et l'histoire si touchante et belle. A travers tes mots, j'ai ressenti tant de choses... J'ai découvert ton blog via le site infirmiers.com, et je compte bien le parcourir de fond en comble pour y lire toutes tes petites histoires! Quel talent tu as. Bravo.
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