Mlle Peggy,Infirmière

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94, France
Mes patients m'appellent souvent Mlle Peggy ,c'est une façon pour eux d'établir une proximité sans pour autant être trop familiers,une sorte de formule "intermédiaire" entre le tutoiement et le vouvoiement,qui leur convient et que je trouve charmante.Vous l'aurez donc compris ,mon quotidien est de soigner les corps et les âmes,"les petites histoires de Mlle Peggy" sont des brèves de vies,qui vous feront rire,parfois pleurer,souvent réfléchir,enfin qui vous laisseront rarement indifférents,je pense. Ah j'ai oublié de vous dire mais vous avez du le deviner:je suis infirmière,et je pratique mon art à domicile,en petite banlieue parisienne.Je tiens à préciser que par souçi du respect du secret médical auquel je suis soumise,les lieux,les identités des patients et leurs familles,les pathologies sont modifiés,et les faits sont romancés. Toute ressemblance avec des personnes ayant réellement existé est purement fortuite. Bonne lecture!!!

mardi 6 mai 2014

Joyeux Noel!

Septembre 2011

La situation sociale de Mr Asticot ne s’est pas améliorée, il vit dans des conditions indignes et personne ne semble s’en émouvoir en dehors de moi.

J’ai pourtant contacté les services sociaux municipaux. Le mois dernier, une assistante sociale s’est déplacée et a pu faire un « état des lieux », mais elle nous a déclaré  son incapacité à agir rapidement car les dossiers difficiles sont pléthores et  Mr Asticot n’est pas « prioritaire »...

J’ai aussi interpellé la famille car ce homme est certes divorcé, mais père de trois enfants qui vivent à proximité de chez lui. Ils sont établis et bénéficient d’excellents revenus. Mr Asticot est d’ailleurs devenu grand-père cet été, deux fois, grâce à son fils ainé et sa fille cadette, mais il n’a jamais vu ses petits-enfants, ses enfants n’ont pas de temps, et ils n’ont surtout pas envie de lui consacrer du temps, de vieilles rancœurs subsistent ….

Mr Asticot m’a parlé aisément et sans retenue dès le premier jour.

Il m’a presque tout dit, il m’a raconté ses vies, celle de « la belle époque » prospère et heureuse  à celle d’aujourd’hui, la descente aux enfers, la honte, la ruine, le rejet, la solitude.
Il me parle avec pudeur, je l’écoute avec discrétion, souvent avec émotion, jamais dans le jugement.

Il n’attend rien d’autre de moi.

Ce vieil homme est seul au monde.

Je suis sa seule visite des jours ordinaires comme des jours de fêtes.

Je soigne ses maux et ses plaies, tous les jours.

Je lui apporte parfois du pain, des vêtements, du réconfort.

En ce qui concerne son logement, Mr Asticot loue ce taudis crasseux et insalubre à un marchand de sommeil depuis 12 ans.

La pièce mesure 11 m², le loyer mensuel est de 650 euros, il est prélevé sur son compte, le propriétaire vit en chine…

Mr Asticot paye rubis sur l’ongle car il est persuadé qu’il ne pourra jamais trouver autre chose étant donné ses faibles revenus.

Cependant, il dort assis sur le fauteuil de jardin usagé en plastique, certainement chiné dans une poubelle, car une canalisation fuit et s’écoule au niveau du matelas posé sur le sol.
Son lit est donc en permanence imbibé d’eaux usées donc inutilisable.

Vous l’aurez compris, sa vie est un enfer.

Décembre 2011

Aujourd’hui, je suis fatiguée.

Hier,j’ai appelé une nouvelle fois les pompiers.

Mr Asticot a été hospitalisé une nuit ce qui lui a permis de dormir au chaud et dans un lit.

L’hiver est rude et « l’appartement » n’est pas chauffé.

Je crains le pire chaque matin.

Aucune nouvelle des services sociaux que j’alerte régulièrement.

L’hôpital refuse de le prendre en charge faute de place  mais aussi parce que sa situation sociale est un frein à la mise en place d’un plan de soins favorable.

Actuellement les ulcères présents sur les membres inférieurs sont tellement exsudatifs que les secrétions s’évaluent à un demi litre par 24 heures.

Les pansements et les bandes de contentions sont rapidement saturés  et ne résistent pas plus d’une heure.

Mr Asticot en est réduit à dormir les jambes dans une bassine en plastique.

Les soins sont donc de plus en plus difficiles à réaliser car les conditions sont insupportables et les plaies particulièrement repoussantes.

Je mets mes gants et j’essaye de me concentrer sur l’essentiel.

Mr Asticot a mis un sac en plastique dans la bassine, je le soulève, il est rempli d’un liquide jaunâtre que je jette dans les toilettes.

J’ai très chaud, je découpe les bandes, je réprime une nausée, je transpire à grande eau.

Je commence le soin pour la énième fois mais aujourd’hui c’est plus difficile, mon patient n’en peut plus, il me dit qu’il veut mourir pour en finir.

En entendant  son désespoir, je me relève, il me faut de l’air frais mais la seule fenêtre de l’appartement est condamnée, Mr Asticot parle, sa voix résonne autour de moi je suis au bord du malaise.

Je rassemble mes dernières forces et je me remets à la tâche et vingt bonnes minutes plus tard, c’est terminé.

Je suis vidée.

Mon patient est désolé d’avoir craqué, je le rassure et je lui souhaite une bonne soirée, je referme la porte derrière moi.

Une fois sur le trottoir, je respire enfin l’air frais, je suis vertigineuse, j’ai froid.

Il me reste une dizaine de patients à voir.

Il est 17h00, nous sommes le 24 décembre, dans quelques heures, après un beau repas en famille, entourés de rires d’enfants beaucoup d’entre nous ouvriront des montagnes de cadeaux dans un foyer chaleureux pendant que d’autres seront seuls.

La voix de Mr Asticot résonnera longtemps dans ma tête ce soir-là :

« Encore merci et Joyeux Noël à vous et votre famille Mlle Peggy ! »
« Merci à vous Monsieur, bonne soirée et essayez de vous reposer un peu ! »

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