Mlle Peggy,Infirmière

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94, France
Mes patients m'appellent souvent Mlle Peggy ,c'est une façon pour eux d'établir une proximité sans pour autant être trop familiers,une sorte de formule "intermédiaire" entre le tutoiement et le vouvoiement,qui leur convient et que je trouve charmante.Vous l'aurez donc compris ,mon quotidien est de soigner les corps et les âmes,"les petites histoires de Mlle Peggy" sont des brèves de vies,qui vous feront rire,parfois pleurer,souvent réfléchir,enfin qui vous laisseront rarement indifférents,je pense. Ah j'ai oublié de vous dire mais vous avez du le deviner:je suis infirmière,et je pratique mon art à domicile,en petite banlieue parisienne.Je tiens à préciser que par souçi du respect du secret médical auquel je suis soumise,les lieux,les identités des patients et leurs familles,les pathologies sont modifiés,et les faits sont romancés. Toute ressemblance avec des personnes ayant réellement existé est purement fortuite. Bonne lecture!!!

vendredi 18 juillet 2014

Bienvenue chez les fous: la suite...

Plusieurs semaines se sont écoulées depuis le début de cette prise en charge insolite.

Je me suis progressivement habituée à l’ambiance qui règne dans cette maison, mais je reste 
cependant prudente.

Les enfants de Mme Amsterdam m’ont recontacté quelques jours après mon premier passage et ont évoqué à bas mots la schizophrénie d’Ernestine.

Ils minimisent les troubles malgré les hospitalisations d’office* à répétition consécutives à des agressions verbales ou physiques de personnes sur la voie publique.

Un fait grave est survenu quand elle était âgée de vingt ans.

Ernestine a poignardé un voyageur dans le métro.

Lors du procès, les expertises psychiatriques ont montré  une irresponsabilité pénale, elle a donc été hospitalisée plusieurs années dans une unité pour malades difficiles, et elle vit maintenant depuis une quinzaine d’années chez sa mère, avec une surveillance médicale renforcée. Elle doit se présenter régulièrement aux rendez-vous médicaux qui lui sont fixés au centre médico-psychologique dont elle dépend.

Aujourd’hui, Ernestine est stabilisée mais « réputée dangereuse ».

Le couple qu’elle forme avec sa mère est pathologique car l’une ne peut vivre sans l’autre mais chacune participe à la destruction de l’autre.

Mes visites ont lieu invariablement à la même heure.

Ernestine s’assoit dans son fauteuil face à la porte d’entrée du salon avec sa bouteille de « Coca rouge » coincée sous son bras droit, son cendrier posé sur un guéridon placé à gauche une cigarette à la main.

C’est une grande tabagique puisqu'elle fume trois à quatre paquets de cigarettes par jour, sans jamais aérer la pièce où elle se trouve car « sa mère n’aime pas les courants d’air ».

Mon premier geste quand j’arrive est donc d’ouvrir la fenêtre pour ne pas mourir asphyxiée….

Chaque jour, à la même heure.

Et pour cause….Ernestine a passé la plus grande partie de sa vie hospitalisée dans des services psychiatriques dit « fermés ».
Au sein de ces lieux de soins, la vie des malades est encore plus ritualisée que dans un service de soins généraux.

Ils se lèvent, prennent leurs repas et leurs traitements à heures fixes, rencontrent les médecins, la famille dans un cadre prédéfini à l’avance, et il est difficile de déroger aux règles fixées.

Elle est donc formatée et le moindre changement dans ses habitudes peut provoquer chez elle de grandes colères.

Aujourd’hui tout ne va pas se passer comme d’habitude.

En effet ma journée débute par une dizaine de prises de sang à domicile et certains patients s’avèrent difficiles à prélever. Je prends donc progressivement du retard. Un certain nombre de rendez-vous s’enchainent au  cabinet, et deux de mes  patients ne se présentent pas à l’heure convenue mais un bon quart d’heure plus tard chacun.

Il est donc 13 heures passé lorsque je me présente chez Mme Amsterdam, soit 60 minutes plus tard que mon heure d’arrivée habituelle...

Machinalement, je pousse la grille du jardin et je traverse les herbes folles au pas de course.

Je frappe à la porte deux fois et comme il est convenu entre elles et moi je rentre dans la maison.

Tout est calme.

Je préviens de mon arrivée en disant « bonjour » d’une voix forte.

J’ouvre la porte du salon, Ernestine me fait face dans son fauteuil.
 Elle me dévisage d’un œil noir. 
Sa mère est assise dans le canapé situé à la droite de celui de sa fille, et regarde d’anciennes photos qu’elle commente à haute voix comme si nous n’existions pas.

-Bonjour, comment allez-vous ?

Ernestine me répond de sa voix trainante, neuroleptisée

-Bonjour. C’est plutôt moi qui doit prendre de vos nouvelles !

Je m’accroupis face à elle pour prendre appui sur la table basse et je commence à retirer les médicaments un à un de leurs blisters.

 Sa mère continue à commenter les photos :

-c’était à Knoke, maman ne voulait pas se baigner…

Je commence :

-oui il y a eu beaucoup d’imprévus ce matin et…. 

Brutalement, Ernestine se lève et s’avance vers moi rapidement, en hurlant :

-Arrêtez de mentir !!! Je ne suis pas folle !!! .

Surprise par sa réaction, je suis déséquilibrée et je tombe sur le côté droit.

Hirsute, elle lève la main vers moi, et me relève d’une poignée franche…

Imperturbable sa mère réfléchit à haute voix :

-Knoke non ce n’était pas Knoke…. 

Je ne comprends pas ce qui se passe car tout s’est passé très vite.

Ernestine lâche ma main et se dirige vers l’entrée en vociférant :

-vous voulez profiter d’une handicapée, c’est ça Maria, ras-le-bol de vos mensonges !!!

Je me retourne et j’aperçois une silhouette dans l’entrée, très certainement la fameuse Maria.

Je tente une diversion :

-Dites-moi Ernestine, vous oubliez vos cigarettes ! 

Elle s’arrête brutalement, se retourne lentement, et me fixe.

-vous êtes complice ?

- complice ?

-vous comprenez parfaitement.

Elle se redirige vers moi.

Le téléphone sonne.

Elle s’arrête, et se dirige vers l’appareil :

-Bonjour Claudine, je vais devoir raccrocher l’infirmière est là.

Long silence

-je te la passe.

-Bonjour Peggy, je suis désolée j’ai omis de vous dire que ma sœur avait rendez-vous pour son injection retard lundi chez son psychiatre, elle n’y est pas allée donc se trouve en rupture de traitement depuis 10 jours. Il est possible qu’elle soit quelque peu agressive donc essayez de la convaincre de se rendre au centre medico-psychologique, je vous rappelle demain.

Elle raccroche.

Je me retourne et je la regarde longuement .

-je crois que vous n’allez pas bien Ernestine…

Silence

-je savais que vous étiez complice.

Elle s’assoit et allume une cigarette.

-je vais appeler les pompiers Ernestine, et tout se passera bien.

Je compose le 18 une fois de plus cette semaine, en espérant que leur intervention se déroule le mieux possible.

(*L'hospitalisation d'office s'applique aux personnes dont les troubles mentaux compromettent l'ordre public ou la sûreté des personnes. Elle appartient au Préfet ou en cas de péril imminent au Maire de la Commune concernée.)





3 commentaires:

  1. Peggy, je te le dis sincèrement tu as de la plume. A tel point qu'il faut pour essayer, quand tu auras le temps, de faire un recueil de "Les petites histoires de Peggy". Bien sûr il y aura des détracteurs, comme j'en ai eu au début. Mais très peu car j'ai eu plus de personnes qui attendaient que j'ai eu terminé de l'écrire. Il me semble avoir lu que tu étais sur une piste pour les mettre sur papier. Ok c'est super, mais attention, le monde du livre est rempli de requins . Je n'ai pas pris de maison d'édition pour mes livres et c'est aussi bien. Car en prendre une cela veut dire que la rétrocession est une misère. Exemple si une maison d'édition te le propose, sache bien que sur un recueil qui aura manifestement du succès, si tu le vends 15, 00 euros par exemple, la maison d'édition te reversera 1,80 voire 2,00 euros, et le reste c'est pour leur poche. Mais quand tu en seras rendue à ce stade , je ne t'interdis pas de me contacter, je ne te dirai pas ce qu'il faut que tu fasses, tu es une grande Fille, et tu as la tête sur les épaules; par contre je me permettrais, si tu le veux et le souhaite, te dire ce qu'il ne faut surtout pas faire.
    En tout cas, re-bravo, Peggy, je me suis régalé pour la suite chez les fous.
    Jean-Marie BOULENOUAR

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  2. Un grand merci pour tes encouragements, c'est toujours très important lorsque l'on présente ce que l'on écrit de recevoir des critiques positives car ce n'est pas une démarche aisée de se livrer.Effectivement j'en suis aux prémices de l'élaboration de mon recueil et je me rends compte que c'est très difficile:par ou commencer, à qui s'adresser....Je vais m'y consacrer cet été et dès la rentrée l'affaire commencera à prendre forme. Je n' hésiterai pas à venir vers toi car tu as l’expérience que je n'ai pas encore.Merci encore pour ton soutien.

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