Février 2010
Cela fait déjà trois mois que j’ai accepté de prendre en charge un
couple peu ordinaire puisqu'il s’agit de la mère et de la fille.
Evidemment, lorsque la famille m’a contacté à la fin de l’année
dernière, elle a volontairement omis de préciser quelques détails concernant
ces deux patientes.
Je vais donc vous expliquer la situation.
Cette dame est plutôt volubile et me présente sa famille.
Me Amsterdam est Hollandaise et vit en France depuis 1950.Elle a
épousé un Français en 1955 et le couple a eu trois enfants. Elle
est âgée de 85 ans et vit dans un petit appartement avec sa plus jeune fille,
Ernestine.
La famille a vécu confortablement au gré des mutations de Mr
Amsterdam, un diplomate très occupé par ses fonctions professionnelles.
Les enfants ont grandi, les deux ainés ont quitté la maison
familiale depuis bien longtemps, Ernestine est restée près de ses parents car
elle ne « pouvait » pas s’éloigner d’eux.
Je n’en saurais pas plus pour le moment, je fixe donc un premier
rendez-vous quelques jours plus tard.
La fille aînée me précise qu’elle vit en province et
qu’elle ne sera pas là pour me rencontrer en revanche, elle m’assure
qu’elle prévient sa mère et sa sœur qui seront là sans faute, « c’est
promis ! »
J’arrive donc comme convenu le samedi matin devant une maison bourgeoise
de la fin du 19ème siècle qui semble abandonnée. Les herbes sauvages ont
envahis le jardin, les murs sont fissurés par endroits, les volets sont
dépareillés, la grille du jardin est difficile à ouvrir et émet un grincement
strident qui ferait fuir n’importe quelle personne mal intentionnée !!!
Une petite cloche est fixée sur le mur de l’entrée au-dessus de la
boite aux lettres qui déborde de courriers….
Je rentre dans le jardin et un pressentiment particulier me pousse
à ralentir le pas.
Me voilà devant la porte, je frappe timidement.
Pas de réponse.
Je tape un peu plus fort et là j’entends une voix de femme
hurler :
« Tirez-vous j’vous dis, les flics sont là,
tirez-vous !!! »
Je me fige sur place et je déglutis avec difficulté.
Je décide de rentrer, advienne que pourra….
Je pousse la porte entrouverte et là je découvre un intérieur
sombre et poussiéreux, je suis surtout saisie par une forte odeur de renfermé.
J’avance doucement, et j’aperçois une double porte devant moi qui
dessert certainement un salon.
Je frappe.
« Qui est là ? »
La voix n’est pas la même que tout à l’heure, c’est une voix de
dame âgée.
« C’est l’infirmière ! »
« L’infirmière ?veuillez entrer madame »
Je tourne la poignée de la porte et j’entre dans une grande pièce
beaucoup trop meublée et très enfumée.
Je me mets à tousser, l’atmosphère est irrespirable, mes yeux se
mettent à larmoyer, je commence à sentir une irritation au niveau de ma gorge ….
Je décide d’ouvrir une fenêtre donc j’avance vers le cote droit de
la pièce, et je déverrouille une baie vitrée, je respire l’air frais qui
s’engouffre dans la pièce avec soulagement.
Je me retourne et là, j’aperçois devant moi deux femmes assises
dans des fauteuils type Napoléon qui me scrutent du regard.
Elles semblent grandes et fortes, les yeux très clairs, la plus
jeune ressemble à s’y méprendre à Simone Signoret.
Elle me fixe sans ciller.
Je m’éclaircis la voix et je me présente :
« Bonjour, je m’appelle Peggy, je suis l’infirmière et nous
avons rendez-vous ce matin pour faire connaissance ! »
Silence.
Même en étant à côté de la fenêtre ouverte, la fumée de cigarettes
est vraiment insupportable, j’essaye d’inspirer discrètement un peu d’air frais.
Des dizaines de paquets de cigarettes vides jonchent le sol,
Ernestine ne semble pas les voir, deux grands bols remplis de mégots
froids se trouvent sur une table basse devant elle.
Ses doigts sont jaunis par la nicotine, elle tient une cigarette qui
se consume lentement dans sa main droite, la cendre ne va pas tarder à tomber
sur elle.
Ses cheveux gris sont très longs et retombent en bataille sur ses
épaules.
Elle porte une vieille chemise de nuit sale et déchirée.
Ernestine me regarde toujours fixement.
« Maria va aller en taule ! »
« Maria ? »
« Ouais, Maria. Vous travaillez avec elle ? »
« Non. Qui est Maria ? »
« C’est celle qui vient le matin, elle a piqué les clefs de
la baraque, j’ai porté plainte. »
« Ah, vous êtes allé au commissariat ? »
« Non je les ai appelé »
« Mais on ne peut pas porter plainte par téléphone… »
Ernestine éclate de rire en secouant la tête de gauche à droite.
Sa mère sourit. Qu’est-ce que c’est que cette maison de
dingues… ?
« Ils sont là. »
« Là ? Ou donc ? »
« Mais là devant vous, vous les voyez bien
bordel ! »
A ce moment précis elle me désigne deux chaises posées devant
elle…..vides !
Et bien voila, bienvenue chez les fous!!!!
Je ne dis qu'une chose, bravo...
RépondreSupprimerJiaime.
BJM.IDE@wanadoo.fr
Merci!
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