Septembre 2011
La situation sociale de Mr Asticot ne s’est pas améliorée,
il vit dans des conditions indignes et personne ne semble s’en émouvoir en
dehors de moi.
J’ai pourtant contacté les services sociaux municipaux. Le mois dernier, une assistante sociale s’est
déplacée et a pu faire un « état des lieux », mais elle nous a
déclaré son incapacité à agir rapidement
car les dossiers difficiles sont pléthores et Mr Asticot n’est pas « prioritaire »...
J’ai aussi interpellé la famille car ce homme est
certes divorcé, mais père de trois enfants qui vivent à proximité de chez lui. Ils
sont établis et bénéficient d’excellents revenus. Mr Asticot est d’ailleurs devenu
grand-père cet été, deux fois, grâce à son fils ainé et sa fille cadette, mais
il n’a jamais vu ses petits-enfants, ses enfants n’ont pas de temps, et ils n’ont surtout pas envie de lui consacrer du temps, de vieilles rancœurs
subsistent ….
Mr Asticot m’a parlé aisément et sans retenue dès le
premier jour.
Il m’a presque tout dit, il m’a raconté ses vies, celle de
« la belle époque » prospère et heureuse à celle d’aujourd’hui, la descente aux enfers,
la honte, la ruine, le rejet, la solitude.
Il me parle avec pudeur, je l’écoute avec discrétion,
souvent avec émotion, jamais dans le jugement.
Il n’attend rien d’autre de moi.
Ce vieil homme est seul au monde.
Je suis sa seule visite des jours ordinaires comme des
jours de fêtes.
Je soigne ses maux et ses plaies, tous les jours.
Je lui apporte parfois du pain, des vêtements, du réconfort.
En ce qui concerne son logement, Mr Asticot loue ce
taudis crasseux et insalubre à un marchand de sommeil depuis 12 ans.
La pièce mesure 11 m², le loyer mensuel est de 650 euros,
il est prélevé sur son compte, le propriétaire vit en chine…
Mr Asticot paye rubis sur l’ongle car il est persuadé qu’il
ne pourra jamais trouver autre chose étant donné ses faibles revenus.
Cependant, il dort assis sur le fauteuil de jardin usagé
en plastique, certainement chiné dans une poubelle, car une canalisation fuit et
s’écoule au niveau du matelas posé sur le sol.
Son lit est donc en permanence imbibé d’eaux usées donc
inutilisable.
Vous l’aurez compris, sa vie est un enfer.
Décembre 2011
Aujourd’hui, je suis fatiguée.
Hier,j’ai appelé une nouvelle fois les pompiers.
Mr Asticot a été hospitalisé une nuit ce qui lui a permis
de dormir au chaud et dans un lit.
L’hiver est rude et « l’appartement » n’est pas
chauffé.
Je crains le pire chaque matin.
Aucune nouvelle des services sociaux que j’alerte
régulièrement.
L’hôpital refuse de le prendre en charge faute de place mais aussi parce que sa situation sociale est
un frein à la mise en place d’un plan de soins favorable.
Actuellement les ulcères présents sur les membres inférieurs sont tellement exsudatifs que les secrétions s’évaluent à un demi
litre par 24 heures.
Les pansements et les bandes de contentions sont
rapidement saturés et ne résistent pas
plus d’une heure.
Mr Asticot en est réduit à dormir les jambes dans une
bassine en plastique.
Les soins sont donc de plus en plus difficiles à réaliser
car les conditions sont insupportables et les plaies particulièrement repoussantes.
Je mets mes gants et j’essaye de me concentrer sur l’essentiel.
Mr Asticot a mis un sac en plastique dans la bassine, je
le soulève, il est rempli d’un liquide jaunâtre que je jette dans les toilettes.
J’ai très chaud, je découpe les bandes, je réprime une
nausée, je transpire à grande eau.
Je commence le soin pour la énième fois mais aujourd’hui
c’est plus difficile, mon patient n’en peut plus, il me dit qu’il veut mourir
pour en finir.
En entendant son désespoir, je me relève, il me faut de l’air frais mais la seule fenêtre de l’appartement
est condamnée, Mr Asticot parle, sa voix résonne autour de moi je suis au bord
du malaise.
Je rassemble mes dernières forces et je me remets à la tâche et vingt bonnes minutes plus tard, c’est terminé.
Je suis vidée.
Mon patient est désolé d’avoir craqué, je le rassure et
je lui souhaite une bonne soirée, je referme la porte derrière moi.
Une fois sur le trottoir, je respire enfin l’air frais, je
suis vertigineuse, j’ai froid.
Il me reste une dizaine de patients à voir.
Il est 17h00, nous sommes le 24 décembre, dans quelques heures,
après un beau repas en famille, entourés de rires d’enfants beaucoup d’entre
nous ouvriront des montagnes de cadeaux dans un foyer chaleureux pendant que d’autres
seront seuls.
La voix de Mr Asticot résonnera longtemps dans ma tête ce
soir-là :
« Encore merci et Joyeux Noël à vous et votre
famille Mlle Peggy ! »
« Merci à vous Monsieur, bonne soirée et essayez de
vous reposer un peu ! »
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